« Le cadavre sans sépulture a le ciel pour linceul partout il y a un chemin pour aller à Dieu »
Citation tirée de « L'Utopie » 1516 de Thomas More (1478-1535)
Chanoine, théologien, juriste, historien, philosophe, humaniste, homme politique anglais.
Rappel historique
Ce n'est qu'à partir du 19ème siècle que les fosses communes commencèrent progressivement à faire place aux sépultures individuelles (exemples : le cimetière militaire français de Sidi-Feruch de 1830, inhumation individuelle des soldats tués pendant la guerre de sécession aux États-Unis d'Amérique (1861-1865), tombes individuelles des soldats britanniques à la fin de la guerre des Boers (Afrique du Sud) en 1901 – 1903, etc.).
En Europe, l'ampleur des pertes lors de la guerre de Crimée (1853-1856) ne permit pas d’identifier individuellement les morts et on déposa les soldats dans de grandes tombes communes. Cependant, dans le cimetière français de Sébastopol, ils furent regroupés par unité et, dans le cimetière britannique des plaques furent apposées pour chaque unité ainsi que pour chaque bâtiment de la marine ayant subi des pertes. Le traité de Paris de 1856, qui met fin à cette guerre, prévoit la préservation des cimetières en Crimée.
Le traité de Francfort du 10 mai 1871, par lequel les gouvernements français et allemand s'engagent réciproquement à entretenir les tombes de guerre sur leurs territoires respectifs, traduit la volonté des États de prendre en charge à titre permanent la préservation des sépultures. Une loi allemande de 1872 et une loi française de 1873 organisent pour la première fois l'aménagement des sépultures de guerre et garantissent leur entretien. Des dispositions sont prises, dans la mesure du possible, pour regrouper les morts selon leur nationalité et leur religion (exemples : ossuaire de Champigny près de Paris ou celui de Bazeilles près de Sedan)
Avec la guerre de 1914-1918, les belligérants développèrent des pratiques d'inhumation plus soucieuses de l'individualité du soldat qui portait au début du conflit une plaque d'identité mise au poignet ♦ voir le modèle ci-contre.
Au fur et à mesure du déroulement du 1er conflit mondial 1914-1918, ont été réalisées plusieurs types de plaques de différentes formes et dimensions portées au poignet mais aussi au cou par les « Poilus » (qui ont aussi ajouté des médailles religieuses ou autres porte-bonheur) ♦ confer les modèles ci-contre.
L'objectif était de permettre de :
- laisser sur le corps du défunt un moyen d'identification en cas d’exhumation ultérieure ;
- permettre à l'administration d’enregistrer la preuve du décès du défunt et de l'adresser aux familles (avec les objets familiaux).
Dès le début de la guerre 1914-1918, la fosse commune restait la norme pour l'armée française et cette pratique officielle, en retard sur les mœurs de la société, fut rapidement contestée par les soldats eux-mêmes qui prirent l'habitude d'inhumer leurs camarades dans des tombes individuelles1.
Donc, une circulaire du 9 novembre 1914 a rendu le repérage et la conservation des tombes systématiques :
- L'administration militaire a fourni des listes de soldats tués et dressé les plans des tombes.
- Les officiers militaires d'état civil nommés auprès de chaque unité ont assuré l'inhumation dans les cimetières provisoires dans lesquels les tombes étaient numérotées et portaient l'identité du défunt dans la mesure du possible.
- Les maires, pour leur part, ont recensé, dressé des inventaires des tombes et organisé des carrés militaires dans les cimetières communaux.
- Faute de traces écrites des rituels et des photographies ont pu montrer tout le soin apporté à la tombe.
- Et il a été permis aux familles de se rendre sur place pour se recueillir sur la tombe des soldats.
Puis la loi du 29 décembre 1915 a accordé aux militaires reconnus « Morts pour la France » pendant la guerre le droit à une sépulture perpétuelle et permanente aux frais de l’État.
► voir le document législatif
Face aux pertes très importantes de 1914-1915, la loi du 18 février 1916 a créé au sein du ministère de la Guerre un Service général des pensions chargé :
- des pensions, des renseignements et des secours aux familles,
- de l'état civil et des successions militaires,
- de l'identification des corps, de l'organisation des cimetières et de la centralisation des informations relatives aux tombes isolées.
À l'issue de la guerre, la France, comme les différents pays combattants, a procédé :
- au regroupement des sépultures dispersées, à la recherche des corps sur les champs de bataille et à l'aménagement des cimetières de guerre,
- à la restitution des corps aux familles2 ; la loi de finances du 31 juillet 1920 et le décret du 28 septembre 1920 ont organisé le service chargé des restitutions. Les familles ont eu jusqu'au 15 février 1921 pour faire parvenir leurs demandes au ministère des Pensions. Les textes prévoyaient la restitution des corps aux familles qui le désiraient aux frais de l’État. Mais seuls 30% des corps identifiés ont été restitués et nombre de soldats sont restés dans les cimetières militaires ou les ossuaires.
En outre, cette loi de finances du 31 juillet 1920 a aussi décidé la transformation des cimetières militaires provisoires en nécropoles nationales. Et ce patrimoine mémoriel français actuel est constitué de :
- 265 nécropoles nationales,
- 2 000 carrés militaires des cimetières communaux sur le territoire national,
- et quelques 2 000 cimetières français situés dans 78 pays étrangers dont leur conservation et l'entretien est assurée en application des conventions internationales.
C'est ainsi que les corps de 14 « Poilus » morts pour la France dont les noms sont inscrits sur le monument aux morts de Lachau reposent dans des Nécropoles nationales.
► voir le tableau des Poilus inhumés dans des nécropoles nationales
Concernant les 11 autres « Poilus », il y a lieu de noter malheureusement l'absence d'informations sur leurs lieux de sépultures pour les raisons suivantes :
- 4 « Poilus » sont considérés comme disparus et 1 « Poilu » est considéré comme tué l'ennemi mais sans certitude d'où les points d'interrogation dans le tableau ci-joint,
- 1 « Poilu » est considéré comme tué à l'ennemi en Serbie (actuellement Macédoine du Nord) mais son nom ne figure pas sur la liste du cimetière militaire français de Bitola (ex-Monastir),
- 6 « Poilus » dont l'inhumation n'a pas pu être hélas identifiée, notamment dans les carrés militaires des cimetières communaux.
► voir le tableau des Poilus dont le lieu d'inhumation est inconnu
Cet article a vocation de permettre aux descendants :
Pour conclure, il y a lieu de méditer sur la citation tirée de l'ouvrage "Verdun" (1935) de Pierre Mac Orlan, pseudonyme de Pierre Dumarchey (mitrailleur au 226ème régiment d'infanterie pendant la guerre 1914-1918), qui est un écrivain français (1882 - 1970) : "Ceux qui dorment dans ce sol bosselé étaient des humbles. Ils n'employaient pas de ces grands mots que l'on dépose, de même que des couronnes mortuaires, çà et là sur leurs tombes..."
C.A.M.
1 Pour le combattant de la Grande Guerre, pouvoir reposer au cimetière était une préoccupation non négligeable. Ferdinand-Antonin Vuillermet (1875-1927) dominicain, directeur de la jeunesse étudiante de l’Université de Lille et aumônier d'un bataillon de chasseurs alpins l’explique : « Certains s’étonnent que nous nous occupions ainsi de nos morts et que nous ne les enterrions pas sur le champ de bataille où ils sont tombés. C’est l’habitude de notre division. Quand les circonstances nous le permettent, – et nous faisons l’impossible pour qu’il en soit toujours ainsi – nous voulons que les morts de nos bataillons dorment tranquilles de leur dernier sommeil, tous réunis autour de la croix d’un cimetière paisible. Tous auront une fosse individuelle et ceux qui ne pourront pas avoir de cercueil seront pieusement ensevelis dans une toile de tente. Les familles de nos chasseurs ne trouveront-elles pas un adoucissement à leur douleur, dans la certitude que des camarades ont fait pour leurs enfants ce qu’elles auraient si vivement désiré faire elles-mêmes ? Nous voulons qu’un jour on puisse venir prier sur ces tombes. »
2 A ce titre, confer le roman « Au revoir là-haut » de Pierre Lemaître paru le 21 août 2013 aux éditions Albin Michel et qui a reçu plusieurs prix littéraires la même année dont le prix Goncourt.