par Robert LAUGIER et Jean-Pierre ROUGE
de l'association Le Luminaïre
(article du 14/08/2012)
A 800 m au Sud-Est du petit bourg de Lachau (Drôme), Notre-Dame de Calma (alt. 740 m) est un des rares édifices romans des Baronnies, région montagneuse à la limite méridionale des Hautes-Alpes ; l’église, flanquée à l’Est d’un ample cimetière toujours en usage, est le seul vestige d’un ancien prieuré qui occupait un lieu privilégié, centre de la riche et large vallée de l’Auzance, affluent de la Méouge – véritable oasis de verdure irriguée depuis des temps immémoriaux, cernée de montagnes qui en ferment l’horizon de toutes parts – terroir où l’élevage fut de tout temps la ressource principale des habitants.
Sur le site même du prieuré, et à proximité, on note d’assez nombreuses découvertes d’objets gallo-romains, mais de récents sondages, limités, lors de la réfection du pavement de l’église, n’ont rien révélé.
A 1 km en amont, par contre, dans une zone de collines arides, au lieu-dit le Luminaire, est attesté un dépotoir sacré (favissa), seul vestige aussi d’un lieu de culte gallo-romain fréquenté du Ier au IVe siècle de notre ère, qui a livré de nombreux objets votifs (lampes à huile par milliers, miroirs, outils agricoles miniature, bijoux, anneaux, monnaies, céramiques diverses) ; certains sont conservés dans les musées de Gap et de Grenoble.
Aux alentours du XIIe siècle, dans l’espace de l’actuel département de la Drôme, pas moins de 124 établissements dépendaient de 16 abbayes-mères, dont Cluny pour ceux de Lachau, Ballons et Montfroc. Cependant, aucun document ne précise l’origine du prieuré : création de Cluny, son Cartulaire n’en dit mot avant le XIVe s, ou d’une autre Congrégation ?
Le nom de Lachau apparaît en 1209 dans une Charte de franchise octroyée à cette cité des Baronnies par son seigneur Raybaud de Lachau, vassal de Raymond de Mévouillon. Comme le prieuré dont elle est distinguée dans l’acte, l’église paroissiale n’est attestée qu’en 1262 ; il existe donc déjà deux quartiers ecclésiastiques impossibles à confondre : la paroisse, « sous le vocable de Saint Martin », du clergé séculier et le prieuré bénédictin dont l’église devenue « Notre-Dame de Calma » est le centre de la communauté. La position des Bénédictins à Lachau n’a pu être précisée, car il n’existe pas de trace, dans le Cartulaire de Cluny, de la communauté monastique elle-même.
Un prior de Calma est cité en 1274 dans les Comptes de décimes de l’archiprêtré d’outre-Buëch (futur Rosanais), diocèse/évêché de Gap, dont dépend Lachau.
Si en 1330, Humbert d’Artena, moine bénédictin, prieur de Lachau, apparaît dans un acte passé en l’église de Lagrand, ce n’est qu’en 1355 qu’il est mentionné, qu’avec sa dépendance d’Éourres, le prieuré bénédictin de Calma, sous le vocable « Assomption de Notre-Dame », relève du prieuré de Lagrand.
La visite pastorale de 1687 souligne le mauvais état de l'église du village, ce qui explique qu’à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe s., celle de Calma ait pu servir temporairement d’église paroissiale ; pourtant la visite de 1730 « la trouve dénuée de tout, et à cause de son éloignement, on y va faire les fonctions qu’une fois ou deux dans l’année, ce qui la rend presque absolument inutile ».
En 1791, l’ensemble du prieuré est vendu comme bien national à un individu qui s’empresse de le dépecer en divers lots rétrocédés à des habitants du lieu.
En 1840, Alexandre François Hippolyte Epailly, architecte à Valence, et déjà architecte diocésain, est promu Inspecteur Départemental des Monuments Historiques pour la Drôme. Mais il eut rapidement des difficultés avec la Commission nationale et avec le ministre des Beaux-Arts du moment, et donc fut déplacé. Par chance, il avait eu le temps cependant d'établir, à partir des relevés faits sur place en 1846, un devis des travaux à faire à N.D. de Calma. Ils se montaient à 7.925 francs et 65 centimes.
Avec les nombreuses notes que la rédaction du manuscrit de « Columba » lui avait laissé tout loisir de prendre sur les monuments inspectés lors d’une tournée effectuée en 1839 dans le Sud-Est et en Corse, Prosper Mérimée, de 1841 à 1853, établit, comme Inspecteur général des Monuments Historiques, vingt-neuf rapports intéressant le Dauphiné et le département de la Drôme, une contrée pour laquelle il se soucie particulièrement de la réfection des toitures, afin de protéger ce qui reste des bâtiments. Cet ensemble lui servit lorsque, membre des Académies Française et des Inscriptions et Belles-Lettres, il rédigea, dans le calme de son bureau de haut fonctionnaire, un panorama des monuments de France ordonné par provinces. Son impression sur N.D. de Calma est qu'il la trouve « intéressante » ; aussi, le poste d'Inspecteur étant devenu vacant pour la Drôme, Mérimée charge Pierre Manguin, un architecte qui avait fait procéder à la restauration de quelques monuments de l'Isère et des Hautes-Alpes, dont le prieuré de Lagrand dans les Baronnies, de s'occuper de N.D. de Calma et fait accorder 4.000 francs pour les actions de cette conservation. Hélas, l’inertie de l’architecte comme celle du Conseil Municipal de Lachau amènent Mérimée à changer d’avis, et à annuler sa subvention, arguant que « le monument ne mérite pas un sacrifice aussi considérable que celui qui nécessiterait sa restauration (21 mars 1850) ».
L'église pourra enfin être classée Monument historique en 1875, sous la Troisième République.
Du prieuré médiéval ne subsiste assurément que l’église Notre-Dame, de construction très soignée, très équilibrée dans ses volumes. Elle présente une nef unique de deux travées, majestueuse par son ampleur et ses justes proportions : près de 25 m de long pour une largeur de 7,5 m, et une hauteur sous clef de 13,5 m ; viennent s'y adjoindre un transept bas peu saillant et une abside en hémicycle précédée d'une courte travée droite. Enfin, deux chapelles à fond plat un peu plus tardives s'ouvrent sur les croisillons du transept. Dans le croisillon Sud, une porte murée donnait accès aux bâtiments monastiques ; sur leur emplacement s'élève aujourd'hui une ferme.
L’intérieur, comme l’extérieur d’ailleurs, sont parementés en moellons de moyen appareil, plus ou moins réguliers, dressés sommairement, un soin particulier étant porté aux parties structurantes résumées ci-après.
La nef est couverte d'une voûte en berceau brisé sur doubleaux, qui retombe sur les murs gouttereaux par l'intermédiaire de grands arcs de décharge en plein cintre. Les pilastres à angles vifs qui reçoivent les doubleaux sont dotés de chapiteaux à feuilles plates et de bases ornées d'un double tore, dans trois d’entre eux apparaît une petite tête humaine très fruste, au nez épaté. Les croisillons du transept et les chapelles orientales sont également voûtées en berceau brisé, on y remarquera des niches-lavabos. Rarement observé en milieu rural, un enfeu funéraire couvert d’un arc en plein cintre abrite un sarcophage bâti. Il était vide et a été récemment restauré.
L'édifice prend largement le jour par cinq hautes et étroites baies en plein cintre, très ébrasées, et par un oculus au sud de la première travée de la nef. En fait, seule sa façade Nord, exposée au froid, au mistral, est aveugle. Un escalier en colimaçon, pris dans l'épaisseur du mur, accessible à la fois de l'église et du secteur des bâtiments monastiques, devait donner accès à un clocher ou mur-clocher, situé au sommet du contrefort Sud-Ouest.
L’accès dans l’église se faisait essentiellement à l’origine par l’entrée monumentale ouverte dans la façade occidentale ; on notera cependant une porte de service en plein cintre depuis longtemps obturée et servant actuellement d’armoire électrique, qui donnait accès aux bâtiments conventuels, peut-être par l’intermédiaire d’un cloître. Dans le mur de la ferme voisine on retrouve, face à l’église, les restes d’une ouverture.
Extérieurement, l’église présente un volume puissant, mais harmonieux, autrefois couvert de lauzes calcaires taillées, comme la plupart des édifices de la région. Ce matériau a été remplacé par des tuiles creuses peu après 1960. Un petit clocher du début du XXe siècle couronne la façade occidentale, la moins austère de ce sobre ensemble ; cantonnée d'épais contreforts enveloppants, elle s'organise, en effet, autour d'un portail en plein cintre, composé de trois voussures garnies de tores retombant sur des chapiteaux à feuilles d'eau ; les colonnettes et les bases ont entièrement disparu. Et, conformément à la tradition alpine, le tympan était décoré d'une scène peinte consacrée à la Vierge (peut-être une Annonciation ?) dont il ne subsiste que des vestiges. Au-dessus de l’entrée, une tête de bovidé en relief se détache de la façade, à gauche de la grande baie.
Les parements extérieurs, constitués d'un calcaire dur, mais gélif, de teinte grise, avec des reflets bleuâtres, ont été assez largement restaurés entre la fin du XIXe siècle et les années 60, surtout dans les parties hautes ¹.
De 1986 à 2001, sept campagnes de travaux ont été réalisés : sur la toiture et le clocher endommagé par la foudre le 04/08/1988, ensuite la réfection du portail et surtout en 2001 la restauration intérieure et extérieure. Une deuxième tranche de travaux extérieurs et intérieurs était prévue.
Bâtiment sobre et rude, dont les dimensions étonnent dans notre région si peu peuplée, à l’écart de grands axes de circulation, l’Église N.D. de Calma est actuellement utilisée pour des manifestations culturelles (Expositions, Concerts, …) et pour la traditionnelle messe du 15 Août, remise à l’honneur en 2002 par [l'] association [Le Luminaïre].
- Guy BARRUOL, Notes sur quelques édifices romans du Pays d'Albion et des Baronnies, in Provence Romane, Tome II, Ed. Zodiaque, volume 46, Éditions de La Pierre qui Vire 1977, page 338 ;
- Guy BARRUOL, Participation au Colloque « Le XIIIe siècle, entre Provence et Dauphiné », Lachau, septembre 2009.
- Jean MALLION, Prosper Mérimée et les monuments du Dauphiné, in Cahiers de l'Alpe, Grenoble 1979, page 196.
- Guylaine DARTEVELLE. Ouvrage collectif « La Drôme Romane », son article : Lachau, Notre-Dame de Calma ; Ed. Plein-Cintre, Taulignan 1989, page 112 ;
- Guylaine DARTEVELLE, Étude sur l'église Notre-Dame de Calma à Lachau, in Revue Drômoise, Ed. Société de la Société d'Archéologie et de Statistique de la Drôme, numéro 451, Valence 1989, pages 345-353.
- Les Pages de liaison du Luminaïre depuis 1983 ; en particulier les articles de Pierre VARLET des n° 1, 2 et 16.
- Alain TILLIER, Étude Préalable pour la restauration de Notre-Dame de Calma. (octobre 1998)
¹ Le relevé de Petitgrand, dressé en 1893, présente un état assez précis de l'église avant restauration, même s'il comporte une erreur de taille en figurant deux fenêtres, côté Nord, qui n'ont certainement jamais existé.